dimanche 2 août 2009

Sous la pluie...


Il pleut sur Champ Contier, il pleut sur la maison, il pleut sur la maisonnée. Une fillette de 11 ans originaire d'Étampes est morte hier après-midi dans la Durance. Un accident d'hydrospeed, un sport comme ces cinq cents autres inventés dans le mouvement du grand retour à la nature à partir des années 70-80, avec à la proue les sports extrêmes, par exemple les descentes à ski, les caméras penchées, un vieux truc, accentuant le vertige du téléspectateur.
Vu de ma berge, moi qui ai peur qu'une écrevisse ne me morde l'orteil rien que de poser un pied dans la Corrèze, mais qui me délecte à observer le chahut d'un torrent ou l'écoulement d'un fleuve, je regarde ça comme un concert de couillonnades, terme dont la nuance est mieux comprise au sud qu'au nord de la ligne Gap-Aubenas-Cahors-Arcachon, entendons par là que je m'amuse de la propension à.
Adepte intermittent de la mauvaise foi, exercice parfois salutaire pour pousser une conversation dans les retranchements, je me moquais affectueusement de mes amis de la Fédération française de canoë-kayak, alors que j'en étais le vice-président (1989-1992), en leur suggérant de créer le lancer de la casserole en kayak marche arrière. C'était une époque où, je vous le disais, on créait ce qu'on appelait des "disciplines nouvelles" en vue d'attirer des "pratiquants nouveaux". Oui, chers toutes et chers tous, j'ai été vice-président de la Fédération française de canoë-kayak, et j'aurais même pu en être le président, malgré un palmarès affligeant: deux descentes de l'Ardèche, une de la Durance et une de l'Allier, toujours accompagné, je le fais remarquer, d'un ancien champion du monde ou pas loin. Oui, presque président, autrement dit au bord d'atteindre le sommet de quelque chose! Et comme vous savez bien qu'en France, ce n'est pas rien d'être président, on est un pays de présidents, il suffit de lire le Dauphiné Libéré, le Midi Libre, Ouest France ou La Montagne, l'aventure aurait pu me porter loin!
Ainsi, au moment d'une interruption de séance du nouveau comité directeur (on n'en sortait pas avec l'élection du président), l'un des deux candidats au poste s'était approché de moi dans les latrines de l'Institut National des Sports pour me dire: "Llibert, je m'efface en ta faveur si tu fais acte de candidature." Dans la position debout qui sied en ce genre de lieu, j'avais attendu dix secondes avant de répondre "non" et de fermer la braguette. Durant ces dix secondes, j'avais ouvert mon esprit au vertige humoristique de l'hypothèse, un président dans cet univers aquatique qui parcourt le 100 mètres brasse-grenouille dans le temps de 14 minutes, et ce en piscine d'eau de mer .
Il pleut, je raconte ma vie et ce à quoi a échappé le sport français, tandis qu'une fillette a perdu la sienne, coincée sous l'eau par une ferraille soit balancée par un con, soit décrochée par une crue de printemps. Et je songe à un bon copain d'alors, François Ciroteau, mort le 14 février 1987, le kayak coincé entre deux rochers de la Dunière, affluent de l'Eyrieux en Ardèche, lui qui détenait le record mondial de la descente en kayak dans les chutes, avec un saut de 25 mètres.
Le risque a donc son prix: dans l'hier d'avant-hier, François le champion, hier, une fillette d'Étampes, je sais, elle aurait pu mourir en traversant un carrefour au vert. En tout cas, ici on est tristes. Michel est parti secoué sur les lieux de l'accident. Vice-président de la Ligue de Provence-Alpes-Côte-d'Azur de canoë-kayak, il se doit d'être sur place. Gérard et Nicole, eux, viennent de prendre la route vers d'autres cieux. Michelle regarde tomber la pluie derrière les carreaux. Champ Contier est noyé dans les nuages, les cendres du four banal résistent à la danse des gigots et des tartes d'hier soir, et moi je sors pour vous la photo du pont romain qui enjambe prodigieusement l'Ubaye. J'aimerais bien le photographier d'en dessous, mais pour ça il me faudrait ranger ma chemise abricot en lin et revêtir une combinaison noire improbable avec au bout du bras une pagaie. Alors...
Cependant, que l'on ne me considère pas comme un hydrosceptique! Regarder le ballet d'un frêle kayak jongler dans les remous s'apparente à ce que le geste sportif a de plus majestueux, et, dans cette famille des bords de rivière règne un accord avec la nature qui n'est pas sans rapport avec une forme de culte de l'amitié. C'est aussi en raison de cela que j'ai retrouvé avec joie la route de Champ Contier.
Salut.
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PS: si vous voulez savoir ce que c'est que l'hydrospeed, mais attention ici c'est en haute rivière, copiez http://www.wideo.fr/video/iLyROoafYrV-.html

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