lundi 24 août 2009

Chaise longue et réverbérations



Bonjour,
Ici, même le temps se repose. Les 180 coups d'aile que donne une mouche à la seconde m'affolent. Je viens de quitter ma chaise longue pour cette photo devant la maison de Jean-Robert, dans la rue principale de Pauilhac, entre Lectoure (vous savez!, le bleu de Lectoure) et Fleurance (vous savez!, le pays de Messegué). Je ne connaissais pas le Gers, sauf pour avoir vu au cinéma Le Bonheur est dans le pré. C'est admirable. Je n'avais jamais autant vu de platanes au bord des routes ces vingt dernières années. Ailleurs, la politique de sécurité routière les a ôtés à notre oeil de conducteur.
Question de devoir de vacances: qui a introduit le platane en France? Réponse: Pierre Belon, voyageur savant du XVIème siècle qui ramena également le lilas des jardins du Sultan de Constantinople. Je suis presque incollable sur les platanes. J'ai grandi avec eux sur le boulevard circulaire de Brive. À quatre pattes, nous tournions en rond autour. Enfants, nous tirions leurs écorces par plaques, nous hésitions à arracher celles où les amoureux gravaient des coeurs fléchés, à l'automne nous ramassions les akènes, leurs boules dépendues par la saison.
Si vous voulez connaître une ombre généreuse et fraîche, soyeuse et presque liquide, marchez un jour sans du tout se presser dans celle formée par les platanes de la Rambla de Port-Bou, à la frontière entre la France et l'Espagne. Si vous voulez sentir la marque d'une verticalité tourmentée, faîtes le tour de ville de Céret et regardez ensuite la série des Platanes que Soutine a peint comme des flammes. On les voit en ce moment au Musée (superbe) de cette ville, où l'on devrait obligatoirement passer un temps de son existence comme l'ont fait Picasso, Manolo, Masson et quelques autres grands peintres.
Pour le moment, c'est Pauilhac qui m'enthousiasme, avec ses champs de tournesol, corolles rondes comme des visages de madones délicatement inclinées. On ne le fera jamais assez remarquer: il n'est d'ombre sans lumière. Depuis mon arrivée, le soleil étire un drap dans le ciel, un drap blanc comme un masque du théâtre japonais. Sa réverbération fait des plans sombres au-dessous de chaque toit incliné dans la bonne direction.
L'ombre de Pauilhac met la lenteur à vif. Et c'est ainsi que nous philosophons dans nos chaises longues: Heidegger est-il ou ou non à vilipender? Je n'ai pas tout à fait la même interprétation que Jean-Robert à "la liberté, c'est la compréhension de la nécessité", bref, nous mesurons nos ignorances, ces ombres salutaires que dessinent en nous les quelques petits soleils qu'on a appris. Hegel abandonné, nous débattons de la pression des pneus de la Vespa de Jean-Robert comme des Laguiole qu'un manant qui ne s'est pas dénoncé a placé dans le lave-vaisselle, crime de lèse-culture pour tout citoyen né ou passé un temps par le Puy-de-Dôme ou par l'Aveyron.
Ainsi, à flottements lents comme ceux des anémones de mer, Martine, Toni, Jean-Robert et moi nous vivons dans l'attente de l'inéluctable qui cependant tarde à venir: se lever.
Nous nous y sommes résolu pour quelques courses au marché de Fleurance, sous la halle, à peu près de la même taille que celle de Gaudi au Park Guëll, sauf qu'ici les piliers multipliés sont droits comme des "i". Les halles du Gers, c'est quelque chose: j'ai croisé sur la route celle de Mauvezin, le pays de Roger Couderc, et beaucoup sont à l'identique, avec leurs toits amples comme des manteaux de bergers et si lourds qu'il leur faut des charpentes de chêne noués à la force 100. Vous l'avez remarqué? Curieusement, chacun de nous retient à vie des détails comme celui-ci: la charpente de Notre-Dame, c'est 800 chênes!
Des halles du Gers s'envolent les palabres autour du maïs qui pousse et du rugby, ainsi que la faconde du radicalisme politique, celui d'un Midi antiversaillais et rouge, fédéré à la fin du XIXème siècle à Béziers. Alors, ça tchatche pas mal à Pauilhac, surtout que la fête locale a bousculé nos nuits. Au petit matin, j'en ai vus qui flottaient sur leur nuage anisé, et j'ai songé qu'il y a quelques siècles ils auraient bataillé à charge de gnons, comme des sauvages, avec les villageois d'à-côté au jeu violent de l'époque, la soule. Dans la nuit, m'est venu par les claies des fenêtres, le propos d'une fille qui pleurait au bras de quelqu'un: "Il vient de m'envoyer un sms pour me dire qu'il en a baisé une autre." Il ne faudrait pas abandonner les enfants à la sortie de l'école. J'ai poussé légèrement le volet, je l'ai vue s'éloigner, hoquetant, le visage logé dans l'épaule du confesseur. Grave-t-on encore des coeurs fléchés dans l'écorce des arbres? En tout cas, on ne dit plus chaise longue mais..., mince j'ai déjà oublié !
Je ne peux vous quitter sans vous dire que les champs immenses font comme des paillassons de seuil à l'ados des collines au sommet érodé. C'est que le soleil brûle! Sans signaler non plus la présence d'un village qui se nomme magnifiquement Nougaroulet ("le petit noyer") ! Je m'arrête là, bien que le "Qu'est-ce que regarder sans penser?" de Goethe dans les jardins de Rome me tire par la manche. Je vois les perles de miel d'une glycine au bout des troncs noueux. Brive n'est pas loin dans ce bout de paradis intense. Je comprends maintenant qu'il soit, pour Jean-Robert, un point cardinal.
Je vous embrasse.


2 commentaires:

  1. nous, on a découvert le gers à marciac (au moment du festival) et on a été stupéfaits devant la beauté des paysages...n'oublie pas qu'à Lectoure, il y a aussi des melons!!!

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  2. le platane qui t'es cher a détroner dans le midi l'arbre local,le micoucoulier, ce qui a conduit Paul Riquet à commettre une faute écologique lourde lorsqu'ileut à choisir la "couverture" de son canal: la feille du platane est imputrécible, il faut donc curer le canal du Midi sans arrêt;avec le micoucoulier cet inconvénient aurait été épargné.

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