lundi 24 août 2009

Sable breton


Chers toutes, chers tous,

Ici, il est préférable d’aimer les crêpes, l’odeur des algues, le va-et-vient des marées et les pulls à rayures... J’ai pris le petit escalier de Port-Haliguen qui mène à une crêperie de fond de ruelle, à laquelle il ne manque même pas le vélo bleu contre le fourré d’hortensias roses. J’ai laissé les bateaux dans la boue brune d’une marée basse, couchés sur une oreille. Sur un quai de granit, sous une sirène en bronze, toute une nostalgie de cordages et de filets retient le jour au mitan. J’ai pensé aux cours d’aquarelle d’Ester, au premier étage de la rue Girona, il aurait fallu tirer les pinceaux du sac...

[Je venais de tomber, juste sous l’escalier, sur une empreinte de l’Histoire, une plaque déposée par la Ligue des Droits de l’Homme en 1932 : « Ici est débarqué le Capitaine Dreyfus à son retour de l’Île du Diable, le 1er juillet 1899. » J’avais pris la photo, ma mémoire avait rassemblé tout ce qu’elle savait, j’avais songé très fort à Saïd, mon frère, mort dans le métro le 23 juin dernier, vingt jours après été élu trésorier de la LDH.]

... J’ai traversé la pièce plombée par l’ombre, nous sommes maintenant dans la cour de la crêperie de fond de ruelle, on regarde dans l’assiette d’en face une crêpe au caramel brun, on n’a pas d’intention, trop de beurre pour qui est civilisé à l’huile d’olive, on s’invente un bout de récit autour du visage de Dreyfus quand il pose le pied sur le quai graniteux, on ferme la parenthèse, la conversation est protégée par le ciel blanc gris, à la table voisine une grand’mère s’enquiert auprès de sa petite-fille de la vie qu’elle mène à Paris.

Paris, à 510 kilomètres : au cours du voyage, j’ai écouté à la radio Marguerite Duras. J’ai noté, tout en conduisant, cette phrase qui sort, on n’est pas sûr d’avoir bien retenu, de Moderato cantabile : « Les oiseaux s’aiguisent le bec contre les vents froids. » J’ai jalousé la perfection de la phrase. Une fillette disait très sérieusement d’une voix de fillette : « Les sorcières, on les voit dans les rêves, pas dans les rues. » J’avais trouvé beau l’entre sourire et rire de Duras qui alors avait jailli.

Je vous écris de Quiberon, au-dessus de la plage des pas marqués dans le sable, je lui vois la peau, elle a le grain des dos offerts et transis par les frissons. À la terrasse, un garçonnet ajuste ses lunettes rouges au-dessus d’un cahier de devoirs de vacances, la maman se penche, elle adoucit la réponse que cherche l’enfant ; le papa est comme le paysage, abandonné à une demi léthargie. Au loin, Belle-Île... Autour, sur les croupes des landes, les maisons et leur double coloration d’hirondelle... Et tous ces horizons de mer abandonnée en ce moment à des palpitations tranquilles : deux journées ici, et pas un soupçon de tempête.La Bretagne n’a pas été inventée par les Bretons uniquement pour lancer des pincées de sel et de beurre vers la France. Elle prodigue aussi la mélancolie et une façon de se serrer contre le monde quand le soir tombe sur les lichens. Je lis que dans Totalité et infini, Levinas consacre des pages à la caresse. Il écrit que la caresse « marche à l’invisible », qu’elle « fait naître un monde intermédiaire, où chacun, à la fois touchant et touché, n’est plus exactement soi-même, sans pour autant être devenu autre. » La Bretagne appartient à cet intermédiaire.

Salut, je file vers le Gers.

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