dimanche 13 décembre 2009

À la porte du temps

Bonjour,
Comme un héron cendré ouvrant les ailes, le froid étend une belle longueur de bras. La ville a mis ce matin une écharpe. Derrière les lignes d'eucalyptus, c'est tout un mal de mer. Un reste de tramontane posté par la Costa Brava tourne les flots à la cuillère. Maintenant que je connais un peu la rose des vents catalane, je ne m'étonne plus à la vue d'une embarcation esseulée en train de presser la voile vers le port. L'hiver attendu est arrivé. L'esprit du temps nouveau réclame qu'un dernier coup de peigne effeuille complètement les platanes. Un Père Noël en habit et barbe de coton justifiait son salaire tout à l'heure devant les bambins, et en ce moment même, c'est tout un silence de siestes, qui s'éteindra aux premières rumeurs des chocolats épais, où tiennent, plantées, les madeleines. Le froid est relatif, mais on se méfie, les portes restent fermées et ne s'ouvrent prudemment qu'aux mains chaudes. Au village, devant le poêle norvégien en fer gris dont le tuyau fait des coudes jusqu'aux combles, la tante et l'oncle remuent peut-être en ce moment le sac des dernières olives qui traînaient encore hier dans l'argile sèche des replats. Le paysan, "cet arbre qui se déplace" écrit Jules Renard, voit l'hiver lui entrer par les bras en ramenant de la remise le premier fagot sec de sarments. En ville, le bitume est un tout petit peu mouillé. Ce matin, en sortant, j'ai glissé sur une feuille, et après avoir rangé le petit clac du genou dans la mémoire d'un accident, je me suis enfoncé dans les passages où, la veille encore, la lumière giclait par tous les interstices. C'était comme un autre corps livré sans préavis à des rosées. Comment la touffe de sauge du terrain vague aurait-elle pu se rebeller? On écoutait son coeur gros comme celui de la contrebasse à trois cordes, debout tous les dimanches devant la cathédrale, au service des sardanes en renfort des hautbois. Le temps parle par signes et les portes murmurent. De celles-ci, il en est tant et plus qui ne répondent plus. La spéculation en a fait des orphelines. Dépouilles du décor urbain, elles regardent les lofts d'en face, eux-mêmes malades de ne pas savoir leur achèvement. C'était ce matin, dans je ne sais plus lequel de ces passages, celui de Mas d'en Jordi peut-être, que l'une d'elles a attiré mon attention. Quelqu'un avait écrit au pochoir: "un minuto". À la vue de cette dérision prononcée pour la mort du couloir qu'on devinait derrière les huis rouillés, j'ai tiré la sonnette encore vivante. Un écho s'est propagé dans les briques. J'ai posé la main sur la paroi lépreuse. Bon dieu, que c'était froid ! C'était froid et ça ne datait pas de ce matin.
À bientôt,
Llibert

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