mardi 8 décembre 2009

J'avais oublié une carte au fond de mon sac


Bonjour,

Décembre ne parvient pas à perdre ses couleurs de septembre, les écharpes sortent et retournent à leur tiroir, sur le front de plage on voyait ce matin quelques hommes le torse nu, et le nez en antenne vers le soleil pas encore blafard, on dira tendre. Hier soir, en rentrant de La Barceloneta, j'avais croisé sur la promenade du Port Olympique un jogger agitant ses grelots. L'Espagne est à ce point moderne qu'au nom de la liberté individuelle, la Constitution permet à quiconque, depuis 1996 je crois, de se promener à poil dans l'espace public (rues, places, parcs et jardins) à la condition de ne pas se montrer obscène. Et tout ça sous le règne des crucifix dans les salles de classe! Observée d'un certain point de vue, l'Espagne est rigolote. Il n'y a plus de quoi monter des opérettes genre années soixante (Luis Mariano + Carmen Sevilla + le Guardia civil + le prêtre en soutane + la Seat 600), mais... Je signale au passage qu'en se rendant sur le site de la Bibliothèque Universitaire d'Angers, on peut voir une sélection de photographies de Julien Gracq prises en Espagne en 1960: l'une d'elles (la place + la jeune fille + le mulet + la bagnole du cacique) pourrait former le coeur d'un film d'époque. Ce n'est pas tout, mais aujourd'hui est jour férié, on fête l'Immaculée Conception, dite aussi La Puríssima.

En rentrant, après avoir croisé les premiers promeneurs sur la Rambla, j'ai trouvé au fond de mon sac une carte postale que j'avais oubliée. En regardant l'image, je me suis souvenu que durant mon dernier séjour à Paris, novembre ressemblait à novembre. En retournant la carte, on lit ceci, qui éloigne de La Puríssima, du jogger aux grelots et du crucifix :

Bonjour,

Je vous écris depuis le trottoir du 119 du boulevard de l'Hôpital, dans le treizième. Dans mon dos, la porte du boulanger encore fermée (champion de France de la baguette 2007, un panneau le proclame), quelques ombres timides au comptoir de L'Alliance (un café d'Algériens), un néon rose sous des fanfreluches (la vitrine de la sex-shop), un néon vert (la pharmacie), ma porte. Il pleut. On voit passer le "67" en direction de la place d'Italie (on imagine à bord, calés, des chagrins et des repos de femmes de ménage en fin de service). Les dernières pesanteurs de la nuit sont nettement moins belles que les premières lueurs du jour quand on débarque indécis de l'insomnie insolite. Indécis comme ces lisières sur lesquelles il pleut encore. Comme pour offrir une alternative à la sombre poésie du trottoir quitté il y a quelques minutes, je pense à Germaine depuis mon quatrième.

En quelle tombe reposes-tu aujourd'hui, ma Germaine de la rue des Dames ? Sur ton trottoir du dix-septième arrondissement, prés de la façade froide de la mairie, tu déclarais sans peine tes quatre-vingt-dix ans. Tu tenais la dernière guérite parisienne de la Loterie Nationale. À la tombée des jours d’hiver, quatre ampoules en désordre éclairaient un curieux toupet au sommet de ton crâne… Un jour, tu avais râlé fort devant moi qui ne demandais rien : « J'ai commencé en 1957 en vendant des "Gueules Cassées" et maint’nant on m’demande des "Morpions" ! Alors, j’réponds qu’j’en ai pas! » J’avais bien ri, mais toi pas.

La pluie continue de tambouriner sur la peau en ciment de la cour. À L'Alliance, le percolateur a dû déjà siffler huit ou dix fois, et j'imagine qu'une Juliette est entrée, qui ressemble à celle qu'on croisait tout de vrai parler fort dans le bar de la rue Galvani. J'entends encore cette héritière de l'humeur des faubourgs exaltée par les rosés piquants: « T’as vu l’article dans l’Parisien ? En rentrant bourré chez lui, un mec s’est fait arracher l’nez par son chien! René, moi je t'dis que les chiens, ça aime pas l’alcool ! Et moi, j’le sais. Tu vois, l’aut’soir, quand j’suis rentrée chez moi avec un bon coup dans le pif, eh bien Poupette, rien qu’en sentant mon haleine, elle a aboyé. Et pis, tout de suite après, elle s’est cassée sous l'pieu."

C'est comme si je vous écrivais de derrière la porte de mes souvenirs parisiens, et c'est comme un remède à la pluie, tandis qu'une heure en pousse une autre au 119 du boulevard de l'Hôpital sous la poisse de novembre.

À bientôt.

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