mercredi 16 décembre 2009

Foot, baby-foot, Podalydès et vrai chagrin

Bonjour,
Je vous écris depuis mon bureau en bois sombre sur lequel se détachent un petit buste clair de Marc-Aurèle en provenance du musée d'Empùries, cité gréco-romaine de la Costa Brava, et un médaillon en métal commun de Maxime Gorki ramené de l'ex-Urss. Dans Le Monde, Denis Podalydès, - un nom de philosophe ou bien d'athlète grecs -, est interrogé à propos de sa mise en scène de Fortunio à l'Opéra-Comique. La dernière question est: "Que faites-vous quand vous êtes très fatigué?". Le sociétaire de la Comédie-Française répond: " Je regarde du foot. Cela ne me procure aucune angoisse. Des ballons qui rentrent dans les filets, c'est un plaisir fictif, virtuel mais intense. J'éprouve alors toutes les peines du monde et tous les deuils sans le vrai chagrin. Comme si la mort n'existait plus."
On ne saurait mieux exprimer ce que moi-même je ressens devant une partie de football, en période de fatigue ou de lassitude. Entre le 18 novembre et le 16 décembre, je viens d'aligner une série impressionnante: France-Eire (dans le stade), Barça-Inter de Milan (dans le stade), Barça-Real Madrid (dans le stade), Jerez-Barça (dans mon fauteuil), Deportivo La Corogne-Barça (dans mon fauteuil), Marseille-Real Madrid (dans mon fauteuil), Dynamo Kiev-Barça (dans mon fauteuil), Barça-Espanyol (dans le stade), Barça-Atlante Cancun (dans mon fauteuil). Devant tant d'assiduité, quelques-uns de mes amis me trouveront décevant. Mais qu'ils me comprennent! Quand je me rends au foot ou que je vois du foot, mon cerveau et tout son appareil se mettent en code, comme chez Podalydès. Alors je m'éloigne du "vrai chagrin" dont parle ce dernier, au milieu d'une vie ordinaire qui oblige à rouler en pleins phares.
Il en est de même avec le baby-foot. Rue Taulat (Toiture en catalan), à cent mètres de mon bureau, dans un bar portant un nom approprié, La Pausa, je viens parfois jeter un oeil vers les tringles de fer passées dans le corps des vingt-deux bonshommes en bois. Onze vont rayés de bleu et de grenat: c'est le Barça. Onze vont rayés de blanc et de bleu: c'est l'Espanyol. Les frères ennemis de Barcelone. Tiens, on m'a raconté que le coiffeur de la rue Pujades (Montées en catalan) pose comme question préalable aux clients qu'il ne connaît pas: "Barça ou Espanyol?". Le figaro prudent adapte sa conversation à la réponse.
En l'absence de partenaires, je joue de nostalgie devant le baby-foot de La Pausa. La paix dans le poignet, je me rappelle celui installé au fond du café des Sports, à Brive-la-Gaillarde, sur l'avenue du Maréchal-Staline débaptisée en avenue de Paris. C'était une rupture avec la vie normale: nous cessions d'être verticaux. Certains se penchaient plus que d'autres au-dessus de la table de jeu, dont les bords exercent une grande influence. Quand nous les utilisions, afin que la petite balle arrivât en angle vers le but, et ce n'est pas si simple, nous disions "faire des bandes". Notre satisfaction était au zénith, et l'adversaire en rage, lorsque nous venions de réussir une "pissette": d'un tir gagnant, l'attaquant extérieur avait glissé la boule blanche en liège entre le gardien de but et le défenseur. Les "roulettes" alertaient Armand, le chef des garçons posté derrière le comptoir, car ces rotations rapides des barres provoquaient un boucan d'enfer.
À la prochaine ! De vous écrire cette carte ne m'a procuré aucune angoisse. Comme si la mort n'existait plus.

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