mardi 28 juillet 2009

Pierres sèches et eaux vives



Chers tous,
J'espère que vous allez bien. Je sors de la sieste, et je viens juste de me laisser arroser par le brumisateur placé au bout d'un tuyau jaune dans l'herbe du chemin par Michel. Le silence parle si fort qu'on est gagné par le sentiment d'être assis sur un crâne du monde tenant le ciel de sa poigne.
Ici le paysage ne saurait être davantage artiste. Il faut voir comme ses verts acceptent le bleu du Serre-Ponçon sur lequel Michel prend en ce moment le vent. C'est peut-être son voilier en bas, parmi les petits points blancs dans la découpe. Il faut voir aussi, le soir, comme on tutoie les poussières de la Voie lactée et les millions d'étoiles. Double famille de lampions, les satellites et les avions besognent. Quand on détecte une étoile filante, on est tout simplement content.
Ce n'est pas un éloge de la lenteur, mais un éloge de la descente que l'on pourrait aussi dresser depuis ce petit territoire. Entre Champ Contier et Le Lauzet, circule un chemin qui ne voit plus passer que quelques randonneurs, alors qu'il a été durant des siècles la voie principale, à flanc de montagne, plus sûr que le fond de vallée, entre Barcelonnette et Savines. Nous l'avons parcouru ce matin. On ne saurait être davantage explicite, si vous voulez, en disant que, tout en gardant le nez par terre afin d'éviter une racine ou un dévers de pierre, on réussit à détailler le grand tableau que propose l'adret. Ainsi des trois maisons qui vous tendent leurs toits, et dont vous pourriez penser que d'un seul coup d'épaule elles peuvent s'écrouler. Vous vous tromperiez, car on ne saurait mieux illustrer la résistance de la construction en pierre sèche, sans aucun mortier, de demeures paysannes qui s'étaient même dotées de salles en voûtes en rez-de-chaussée. On entre. On songe aux bras qui ont déroché à la barre à mine, au coin en fer ou à la poudre, qui ont monté ensuite l'édifice en calculant les heures. On est dans une fascination de chapelle. Plus de portes et plus de vantaux dans la maison aux chauve-souris, hors du temps et hors route. Nous en avons dérangé une, l'air s'est alors mis à palpiter.
Quand on remonte du Languedoc vers le Massif central par la plus belle des autoroutes de France (avec celle qui, à partir d'Aix, emprunte la vallée de la Durance jusqu'ici), il faut s'arrêter au village de Pégairolles-de-l'Escalette adossé à la soudaine élévation soutenant le Larzac. Dans un virage surgit la reproduction d'une "capitelle", abri en pierres sèches pour les bergers et les vignerons du cru. Sous sa voûte intérieure en encorbellement doivent tenir serrés quinze hommes. On nous explique qu'elle a mangé 400 tonnes de pierres. Alors, dans cette petite ferme du Lauzet, combien ont été soulevées?
Il faudrait des mots d'enfant composant sa première rédaction pour rafraîchir ce que nous avons croisé ensuite. Ainsi du rassemblement des torrents, un, deux, trois, cinquante. C'est toute une chevelure au-dessus de la gorge en canyon. De ce rendez-vous, naît un fracas aquatique auquel je cherche un adjectif qui ne vient pas. Ce doit être la sieste.
Ce que des mots d'enfant auraient peut-être du mal à expliquer, c'est la petite mort de la place du Lauzet. Plus de boucher, plus de boulanger, plus d'épicier. Plus de viande, plus de pain, plus de tomates, plus de rires. Quand on a connu l'endroit il y a une dizaine d'années, c'est comme tomber d'une petite échelle. L'Ubaye s'en fiche qui roule sa couleur délavée à force de frotter le calcaire. À pas mal d'endroits autour du Lauzet, il faudrait des cordes pour descendre lui tenir compagnie. Une fois abordées ses rives, il faudrait trouver un coin pour s'asseoir et "écouter la rivière", et "lire la rivière". Ces deux expressions m'avaient été apprise par un champion de canoë-kayak, Gilles Zok. Je conserve un merveilleux souvenir de cet entretien. Il m'avait raconté comment il dormait, enfant puis jeune homme, dans une tente au bord du Rhône, mu par l'instinct de nature, et comment le berçait toute une symphonie de sons. Il m'avait expliqué comment il remontait pas à pas les berges avant une compétition pour dresser la géographie des rochers et des contre-courants. Je pense inévitablement à cette rencontre quand j'entends quelqu'un dire que les sportifs sont des cons.

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