lundi 12 octobre 2009

Sur la grève

Sur la grève, entre chien et loup, entre dues llums (entre deux lumières) dit le catalan, on fouillerait en vain les poches du soir si l'on était en quête d'un silence breton. Les gens passent avec leurs conversations, les bambins crient pour descendre des poussettes, et les chiens en laisse jappent sous les réverbères.
Le battement des vagues semble appartenir à un métier à tisser approchant du point mort. On s'attend que l'eau s'assoupisse après s'être bien tenue tout au long du jour: 23°, est-il écrit sur un panneau avalé par l'ombre.
Que peut bien lire à cette heure, dans les reflets jaunâtres d'une zone séparée du gros des passants, l'homme assis et que vient de dépasser la jeune femme aux bras nus? Aussitôt disparue du cadre, c'est l'affaire d'une poignée de secondes, elle entrera dans la longue étreinte d'une autre femme, au nez d'une voiture de la Guardia Urbana, son blanc et bleu est celui de nos ambulances, roulant au ralenti sur les dalles de la promenade touchant le bois, et martelées par les foulées de quelques joggers ipodés.
On est à la lisière de la ville, je vous l'ai dit, la grève, cet élément apaisé des fronts de mer. Celui de Barcelone est barré, au fond sud, par l'hôtel-voile de Ricardo Bofill, architecte du je-suis-là-pour-me-montrer. À peine inauguré, voilà que l'autre jour cent activistes manifestent, réclamant sa destruction... Ce nouveau visage de fausse voile latine, c'est la fin définitive de l'esprit des barques, et c'est la révérence tapageuse aux bateaux de croisière. On en distingue un au loin. On imagine les notes de piano rameutant dans les vastes salons feutrés les passagers tout à leur semaine du je-me-sens-servi. Étirée de la poupe à la proue, sa guirlande de lumière tape dans l'avant-nuit, elle relève les ombres lourdes des tankers.
Derrière nous, c'est le bosquet des eucalyptus aux branches en pleurs avec leurs longues feuilles. On ne voit jamais personne sous leur ombre. Ténue même au mitan du jour, peut-être qu'on ne la prend pas au sérieux. On retourne. La traversée du bosquet est brève. Jusqu'aux premiers instants de la Rambla, on suit, sous les lumières étales, le mouvement des mains qui se tiennent ou brassent les mots de plusieurs langues au-dessus des bébés en pleurs, et qu'on berce... À hauteur de la maison de retraite, l'homme aux cheveux blancs en brosse, toujours le même, assis dans sa chaise roulante collée à l'oreille d'un banc, cet homme dont la tête penche toujours du même côté, me dit Aviat soparem. Oui, nous souperons tous bientôt.
Arrivé. Je n'avais pas encore lu le journal. Un gros titre dans l'Avui chapeaute un entretien avec Joan Ridao, numéro deux du parti indépendantiste catalan au pouvoir dans la région avec les socialistes et les verts: "Zapatero est un menteur compulsif, mais très sympathique." Je ne sais pas pourquoi je vous signale ça. Enfin si! C'est qu'à ce changement de bruit, il me semble qu'il vaut mieux vous saluer. Et puis, il se fait tard.
À bientôt.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire