vendredi 2 octobre 2009

Lune pleine



Cher toutes et tous,
La lune pleine ne m'a pas lâché l'autre soir. Elle était apparue derrière les rochers du Caylar. Il faisait encore jour sur le Larzac, et l'astre pâle collé à l'azur délavé par l'automne attendait de former son empire. Les risées du causse oscillent en ce moment entre le vert et le jaune, et, avant sa chute, le soleil dorait toute cette indécision sillonnée par les moutons. À la saison des ombres rases, il fait bon s'arrêter pour parler à l'air frais depuis le bord du cercle d'une lavogne. Assiette naturelle, elle retient l'eau grâce à son fond d'argile. Officiant sur le crâne du désordre karstique, abîme glaçant aux sombres galeries et aux impressionnants avens, univers souterrain de l'Aveyron au Lot, elle en est l'abreuvoir naturel empierré par les bergers de l'antique économie pastorale: une construction de cercles de petits pavés blancs diminuant leur diamètre jusqu'au caillou unique formant la pointe de ce chapeau chinois renversé.
Plouf! ai-je raconté le lendemain à l'enfant qui ne demandait qu'à me croire. La lune pleine aurait peut-être pu descendre et se baigner de tout son rond dans la lavogne, mais celle-ci préférait suivre les voitures roulant de nuit entre Clermont-Ferrand et Barcelone. Sur le chemin, elle avait éclairé plein phare la petite mer de Leucate, puis elle avait soulevé la silhouette des Albères, en découpant les ombres cassées juste avant le pointillé de la frontière. Elle était encore là malgré l'heure frôlant l'aube, au-dessus de la toute petite place Prim, blanche et carrée, avec ses trois ombus torsadés, arbres à si grosses branches que Les enfants du Capitaine Grant s'y réfugient au milieu de l'histoire. Une maison avait ouvert ses volets, la lune en avait profité pour entrer se coucher, et moi j'avais poussé un peu plus loin ma porte.
Comme je me taisais... C'est tout?, m'a dit l'enfant dont c'est l'anniversaire. Voyons!, assis au bord de la lavogne, j'avais vu, tu te le rappelles, la lune se lever derrière les rochers du Caylar, mais dans l'azur délavé on voyait aussi l'avion de Brussels Airlines qui ramène à Barcelone, toujours à la même heure, des cohortes de fonctionnaires. Sur l'écran de son Blackberry, il était 19 heures 40 à bord de l'avion comme au bord de la lavogne, une dame assise au cinquième rang, et portant un tout fin collier d'or, était en train d'écrire qu'elle venait de voir clairement le viaduc de Millau, et que, glissée parmi les soleils roses, venait d'apparaître une lune ronde, et qu'on voyait les moutons marcher en file indienne vers les trous d'eau, et qu'en bas, sur cette terre du Causse, il y avait probablement au moins un homme photographiant la lune et l'un des trous d'eau aussi ronds que la lune.
Maman vient de m'expliquer exactement la même chose par le téléphone, m'a dit l'enfant dont c'est l'anniversaire, elle sort de l'aéroport. J'ai donné à l'enfant son cadeau, et j'ai laissé sur la table une carte postale qui commençait ainsi :"La lune pleine ne m'a pas lâché l'autre soir..."

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