vendredi 4 septembre 2009

Tachycardie barcelonaise


Chers toutes et tous,
Elle pourrait bien exister la femme descendue jusqu'à la place Sant Jaume depuis la plus haute lèvre du versant de Poblesec, quartier d'une seule vague montante vers la montagne de Montjuïc. Dans ce bout de Barcelone enroulé sur lui-même comme un tronc de glycine, et qui semble ne pas avoir besoin de la ville à ses pieds, les rues se terminent par un escalier comme à Montmartre, mais il faut bien compter cent marches de moins; les enfants se couchent plus tard qu'ailleurs et mangent des chips jusqu'à point d'heure; les fous circulent sous les coupoles des mûriers, et, sous les voûtes d'un ancien cellier nommé Can Margarit, est servi, caché par un fagot de farigoule, le lapin "a la jumillana".
Poblesec est de la tête aux pieds un quartier-monde. Depuis les balconnets s'envolent des mots qu'on ne comprend pas, et cela fait tout une bigarrure de phonèmes, et aussi des alphabets qui ne se répondent pas, et aussi des papillons gravissant et dévalant les étages, guinguettes aériennes qu'on aurait mariées à un corso fleuri.
Quand la femme descend la longue rue vers la Rambla, elle sait que la montagne a tout enregistré d'elle par ses baies coloniales. Ses émois, ses échos de cuisine, ses musiques, de Sun is shining à Leaving trunk. Dans un autre temps, et dans l'autre sens, elle pourrait être l'Hélène de Giono, la fille à l'oeil large montant au rocher comme les chèvres dans le petit envol de fouets.
Maintenant, c'est le flot de la Rambla qu'elle enjambe, une Rambla méconnaissable depuis deux, trois années. La fin des lentes promenades a sonné. Les messieurs sous les volutes de leur cigare, et devant un verre de cognac, on n'en voit presque plus. Sa destinée vient de connaître un point d'orgue dans la semaine parce que la presse locale s'est soudain réveillée: putes montant à l'assaut des clients sous les arbres, blanches couilles lavées aux fontaines en plein jour, pipes sous les piliers de La Boqueria, la marge d'André Pieyre de Mandiargues a quitté la rue Robador dans le Raval tout proche. Barcelone est bien vue du monde, mais le monde ignore que ses habitants se lassent des excès en tous genres depuis que la ville est livrée au tourisme.
Dans la rue Ferran, la femme a évité trois vélos, un Teuton rosi par la plage, et deux Scandinaves en maillot du Barça à 75 euros pièce. La voici place Sant Jaume à l'heure des trilles du carillon du Palau. Le drapeau catalan, le drapeau espagnol, aucun des deux ne paraît plus conquérant que l'autre ces jours-ci sur les toits, encore moins à cette heure de midi, où la moiteur les plaque à leur hampe, le goût pour la compétition momentanément éteint. Elle écarte une goutte à son front, au balconnet de ses seins d'orge une frise de printemps dessine la limite, et elle se demande comment va être l'automne dans la rue d'Avinyó qu'elle a dépassée distraitement. Elle revient en arrière, une porte cochère bientôt l'avale dans le dédale des rues sans souffle, et elle s'évanouit dans le puits de lumière de l'escalier vert pistache.
C'était un matin à Barcelone. Là-dessus, je vous quitte. Dans l'air cru de l'escalier au blanc d'Espagne, on entend brailler le petit voisin du troisième, un négrillon rigolo tout plein, adopté, maman Hongroise, papa Catalan. Au premier, les Hollandais sont encore en vacances. Poblenou n'est pas encore un quartier-monde à la Poblesec mais peut-être une esquisse en plus européen, ni sa propre Rambla un lupanar. Cependant, l'autre jour, pas loin, sous les eucalyptus, une professionnelle, Latine aux chairs débordantes, délivrait en plein jour ses faveurs.
Pour les autres battements de la tachycardie barcelonaise, venir me voir.
À bientôt.
Post-scriptum au sujet de la prostitution sur la Rambla: le secrétaire général de Iniciativa per Catalunya Verds (ICV), parti de gouvernement qui se déclare marxiste et écologiste a proposé " des zones de tolérance dans quelques rues, mais dans la mesure où leurs habitants seraient d'accord." J'ai mal à mon passé.

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