dimanche 13 septembre 2009

Le perroquet du 36


Chers toutes et tous,
C'est l'époque où Barcelone attend l'orage pour se nettoyer des excès de l'été. "Dans mon pays, la pluie ne sait pas pleuvoir" dit l'une des chansons de Raimon, l'un des trois chanteurs phares de la Catalogne avec Lluís Llach et Joan Manuel Serrat. Quand il pleut, ce qui s'appelle pleuvoir peut en un quart d'heure effeuiller les platanes, noyer les parkings et rabaisser le plumet des palmiers. Ce matin, il n'est tombé que deux maigres gouttes dans mon café, mais il n'y en a pas pour la vie d'Héra que les dieux percent des azurs qui se déclarent moins bleus de jour en jour.
C'est aussi l'époque où mon quartier du Poblenou s'emballe à l'occasion de sa fête annuelle. Elle dure huit jours, elle commence par un discours identitaire - Poblenou, c'est Barcelone mais ce n'est pas tout à fait Barcelone dans l'esprit, mon quartier se souvient dans ses soubassements d'avoir été un pôle anarchiste dés le début du vingtième siècle -, et elle finit par un feu d'artifice époustouflant au-dessus de la plage. Dans cet intervalle de temps, les enfants auront fait des tours de manège et mangé les glaces du Tio Che, les familles auront soupé sur des longues tables dans les rues, les grand-mères auront présenté leurs travaux de dentelle, Esquerra Republicana, parti de gouvernement d'un indépendantisme trois-quarts-chèvre un tiers-chou, aura multiplié les animations, les grosses têtes auront virevolté au son des hautbois, les tours humaines auront touché la cime des platanes, les anars auront collé sur les murs des cris hostiles à la spéculation, les tiers-mondistes auront proposé de la cuisine africaine, et moi, malgré l'attrait de tous ces petits cortèges, je retiendrai que je suis monté, hier soir, dans une auto tamponneuse, quarante ans au moins après mes dernières virevoltes sur une piste en fer.
La fête est de tous, on n'y voit pas de jeunes hommes enricardés comme à Pauilhac (voir l'une des cartes précédentes), et elle me serait encore plus agréable si les organisateurs ne recrutaient pas l'épouvantable chanteur qui chaque année piaule comme une poulie dans le dos de ma chambre à l'angle de la rue de l'Amistat.
Au recto de la carte que je vous adresse, vous tenez une photo de mon ami Julien Mignot prise à la fête de 2004. Je croise, tous les jours ou presque, la dame qui applaudit, et, vendredi dernier, elle se trouvait comme toujours au premier rang lors du prêche laïc à quoi ressemble le discours d'inauguration. Elle tient La Licorera, avec sa fille qui se trouve sur sa droite. La Licorera est une cave à vins ouverte rue Taulat avant la guerre. Ici, quand on dit "avant la guerre", on parle d'avant 1936. Elle gouverne avec une fermeté de matrone ce lieu enrubanné d'odeurs de vieille cave, mais lorsque la conversation aborde sa dixième phrase, une autre voix tient l'air de son visage. Et c'est, sans qu'elle le sache vraiment, tout un hymne au petit commerce encore vivant dans le quartier (par exemple, trois quincailleries, c'est dire!)
La plus belle histoire qu'elle raconte est celle-ci. Sur le seuil de la boutique, vivait un perroquet. Devant la porte même, dans la rue Taulat, c'était le terminal de la ligne 36 du tramway. Le tramway signalait son départ dans l'autre sens par un sifflement précédant de cinq minutes l'arrachement des roues. Alors, on quittait tranquillement les maisonnettes et les appartements des rues de l'immédiat alentour pour aller à lui. Mais, le perroquet décida un jour de troubler ce bel ordre. Ainsi, il se mit à imiter le petit coup de sifflet du tramway, mais à n'importe quelle heure! La dame de La Licorera renvoya les protestataires aux pelotes, si bien que la mairie décida, après bien des péripéties, et malgré une dame de La Licorera époumonnée, de placer le perroquet en résidence temporaire au zoo. La dame de La Licorera multiplia les démarches jusqu'à ce qu'un accord fût passé. Les autorités admirent le retour du perroquet à La Licorera, à la condition qu'il ne résidât pas sur le seuil de la boutique, mais loin au fond, près de la caisse. Le bon ordre revint, et il en alla ainsi jusqu'à la disparition du tramway au début des années 70 et à la mort du perroquet quelques années plus tard.
C'est pourquoi dans le quartier, on ne désigne jamais la boutique sous le nom de La Licorera. Pour tout le monde, c'est Le Perroquet du 36 (El lloro del 36).
À bientôt.
PS: enfin, la pluie, cinglante comme une batterie de baguettes de tambour! Comme un gosse, de l'eau jusqu'aux chevilles, je débouchais tout à l'heure la voie d'évacuation sur la terrasse.

1 commentaire:

  1. bon, mais si tu donnais un peu des nouvelles de temps en temps, pour savoir où en sont tes projets... biz

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