mercredi 7 juillet 2010

À puy ouvert


Jeudi 24 juin 2010,

Bonjour,

Comment renouer avec un paysage dont on sortit cabossé ? Je connais cette expérience. Deux voies se proposent : la fraternité des personnes choisies et l’apaisement des courbes immuables. Saint-Maurice est un village du Puy-de-Dôme qui semble appartenir plutôt à un Sud qu’à un Centre. Dans une Auvergne notoirement noire par saturation de grise andésite, ce lieu à flanc se pare de la blondeur de l’arkoze et, par soleil ouvert, il cligne facilement de l’oeil au mitan du jour. Ses maisons s’étalent comme un lierre sur les pentes d’un puy, le Saint-Romain. J’y avais connu une glycine dans un renfoncement. Elle n’a pas changé de place. Je viens de la croiser, plus forte, plus dense, désormais affermie dans son coin d’ombre, et comblée comme jamais de perles de miel mauve.

Ces derniers jours, il a plu férocement. Les cerises ne l’ont pas supporté. Derrière la fenêtre de la chambre fermée par le manteau de pluie, j’ai revisité en mémoire les fins uniques d’automne, quand les labours des champs croûtés par les premiers gels dressaient au pied du puy une composition de « forêts noires » dignes du maître pâtissier de l’Univers. Des semaines auparavant, entre septembre et octobre selon les années, l’air se colorait de vendanges. Il y avait les palabres dans la vigne de Jean, au Couget, face au lointain Sancy bleuté par la brume, tandis qu’Yvette et les autres femmes préparaient une joyeuse débauche de mets. S’ajoutait, et demeure, le goût de lichen des caves que l’art de ses constructeurs maintient à dix degrés constants. N’est plus, mais persiste en filigrane la langue du vieux garde-champêtre, Marcel Ameil, dit « Le Zézé ». Par exemple, son « C’est une après-midi lente comme une semaine » proclamait l’essentiel des étés lourds, à la période des lézards figés contre l’aplomb des murs.

Comme on le constate sur ma carte, le soleil a effectué son retour. Du pré d’Annick et de Pierre à Lissac, appendice du bourg, le puy Saint-Romain ne semble vouloir rien cacher sous son petit chapeau. Pourtant, j’y ai mon secret. Noyé dans des branchages et des ronces, un pied de pivoines à la couleur carmin n’attend que moi année après année. En fin d’après-midi, j’ai gravi la pente, j’ai écarté les branchages et j’ai coupé les quelques ronces. Las, je suis arrivé trop tard, et à la vue du pied écroulé et bruni, il ne restait plus qu’à rebrousser chemin en fredonnant un regret. On devinait en bas les méandres de l’Allier. Il faudrait reporter à une autre date la vision féerique de l’écharpe de brume qui suit la cime de ses arbres de berge en époque humide. « Qu’est-ce que regarder sans penser ? » écrivit Goethe dans un jardin de Padoue, touché par une grâce inexpliquée.

Je poursuis ma route vers le Nord. À bientôt.

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