lundi 3 janvier 2011

Ho, les beaux soirs !



Paris, le 2 janvier 2010

Bonjour,

J’espère que vous avez basculé dans l’année nouvelle comme moi, de façon réjouissante, guillerette. Je ne dois pas ma bonne humeur au ciel parisien. L’humidité prend la moelle. Le 31 décembre, j’ai remonté la ligne 2 du métro jusqu’à La Chapelle afin d’assister, aux Bouffes du Nord, le théâtre aux murs vieil ocre, à la dernière représentation de Une flûte enchantée, libre adaptation de l’opéra de Mozart par Peter Brook. Il doit s’agir d’une disposition inconsciente chez moi que d’attraper La flûte au dernier moment. Le 28 juillet 2002, j’avais sauté sur mon vélo à Barcelone, filé droit sur le Liceu et attrapé au vol cinq minutes avant les trois coups, un billet pour « la dernière » de La Flûte montée initialement à Londres par Joan Font, le metteur en scène des Comediants, et traitée dans une forme tout Pantone, tellement elle était de couleurs. Les Bouffes affichait complet. Avec un peu de patience, j’ai réussi à décrocher une place sur un coussin posé dans les marches centrales de la corbeille du premier étage. Durant mon attente, j’ai vu passer Peter Brook se déplaçant avec difficulté vers les coulisses. Christine Scott-Thomas s’est arrêtée à deux mètres. Elle avait sa place. Rares sont les amies à ne pas avoir manifesté leur admiration pour elle. Je l’ai donc observée tout en surveillant la caisse. Silhouette libellule, distinction dans le geste économisé. Les vêtements, comment dire ?, entre Dior et Rykiel. Cheville fine sur talons aiguilles. Le regard ?, rien à en tirer, porté vers le point vague assurant l’évitement des autres. On aurait cru qu’elle avait une mer devant elle. Et La Flûte alors ? Géniale. Légère. Joyeuse. Des chanteurs dans le premier âge de leur carrière. La Reine de la Nuit était extraordinaire. Formule pertinente d’un critique : « Un opéra de chambre ». Je n’ai jamais été mêlé à public plus ravi. Assister à une « dernière » vous assure habituellement d’un cadeau permettant aux acteurs de combler la tristesse apanage des fins. Ce fut un extrait du Requiem, de Mozart évidemment.

La vie, oui !, pourvu qu’elle ait du goût, y compris le mauvais parfois. Après, on trouve encore meilleur le bon ! Méthode. Hier, en mon premier soir d’année nouvelle, après que j’ai écouté Julien Gracq lu par Donnadieu à la radio, acteur admirable qui vient de nous quitter, je me suis dirigé volontairement hors de tout projet, voiles baissées en somme vers la mer des Gobelins en passant par la rue du Banquier. J’ai marché la casquette enfoncée mais l’esprit à l’espiègle. Comme il était trop tard pour voir l’un des films programmé à L’Escurial, j’ai songé à ce que j’allais faire alors que je me trouvais à l’arrêt devant le Mac Donald. Ah, ça mais bien sûr ! « Experimental first day ! » Puisqu’il est trop tard pour pénétrer en zone téléramiste, inspectons donc le pire. Entrons au Mac Donald ! Mais la queue était trop importante. Il est revenu à ma mémoire béante qu’avec Fabrice nous nous sommes promis une « bouffe nulle » avec boîte de raviolis Buitoni ou de cassoulet William Saurin au principal, comme quand nous avions seize ans, lui dans un grenier de lutherie à Mirecourt, moi dans les combles du Foyer culturel de Brive où nous disposions, avec les copains trublions aux allures de poète, d’un Bleuet Butagaz et surtout d’estomacs de fer. J’ai poussé jusqu’au premier cinéma en direction de la Place d’Italie. Il manquait cinq minutes pour le début de la projection du dernier film programmé, The tourist. Formidable, c’était en version française alors que je n’en tiens que pour les V.O. ! J’ai pris le temps de lire le synopsis, et j’ai aussitôt pensé, excité, réjoui, que ce pouvait être tout une daube : « Pour se remettre d'une rupture amoureuse, Frank, simple professeur de mathématiques, décide de faire un peu de tourisme en Europe. Dans le train qui l'emmène de Paris à Venise, une superbe femme, Élise, l'aborde et le séduit. Ce qui commence comme un coup de foudre dans une ville de rêve va vite se transformer en course-poursuite aussi énigmatique que dangereuse... » Tout point de suspension est une promesse, je le sais bien, moi qui écris des quatrièmes de couvertures de bouquins ! J’ai éprouvé une joie intense quand est arrivé l’orgasme de la forme supérieure d’avenir du con propre à ce cinéma aux alouettes. La scène se déroule dans une chambre du Danieli à Venise. Dès le début, et même en déroulant Le Monde au Palais-Royal, Angelina Jolie a déjà chaloupé vingt fois de la croupe, et Johnny Depp en est à son centième ...ouf ! ouf !:

Johnny Depp: « Vous êtes croquante ! »

Angelina Jolie : « Craquante ! »

Johnny Depp: « ... »

Angelina Jolie : « Vous avez les crocs ? »

Sacrée Angelina ! Sacré traducteur ! Magie de la VF ! En sortant de la salle dont le sol était tapissé de pop corn échappé des cornets tout au long des séances de l’après-midi et du soir, une marée surprenante !, j’ai suivi deux jeunes garçons en casquette blanche :

- De la merde, j’te dis !

- C’est quand même bien pour la meuf ! Pour le reste, t’as raison, c’est de la merde !

J’ai éclaté de rire. Ils m’ont regardé. Leurs rires ont diminué comme s’ils avaient eu honte de ce qu’ils avaient énoncé. Alors, ils ont adopté un sourire complice. L’un des deux a prononcé une sorte de « bof ! » en baissant les épaules, puis, se ressaisissant, il en a appelé à ma solidarité avec un propos comique du genre « Tonton, faudra faire mieux la prochaine fois ». Mes joyeux neveux ont filé. Arrivé en dessous de chez moi, j’ai pris du riz au lait chez l’Arabe toujours content, et j’ai hésité devant un camembert Président. Je me suis dit : « Mon Llili, la connerie ça s’essuie, mais le tour de taille, voyons ! »

Bonne année, bises, saluts, fraternités, cordialités, pardons et bienveillances.

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