jeudi 22 juillet 2010

Les potagers de Pégairolles


Barcelone, le mardi 20 juillet 2010.

Bonjour,
Comment attraper avec deux doigts un pépin de pastèque ? Bien entendu, le problème ne se poserait pas au sommet du Mézenc. En revanche, soumis à la touffeur de Barcelone devant ma petite assiette... Je reviens de France. J’ai quitté de si bon matin Lissac que c’est seulement à hauteur du viaduc de Garabit que le soleil a soulevé le paysage en un « tout compris » : prés, forêts, rivières et fermes longues. Plus au Sud, quand le Larzac juste se brise avant le Languedoc, je suis entré dans Pégairolles-de-L’Escalette qu’on ne voit pas de l’autoroute. De même que Victor Hugo a pu écrire que « Londres c’est de l’ennui bâti », je trouve que Pégairolles c’est de l’harmonie érigée.
Comme à l’accoutumée, le calcaire des maisons y était très intense, d’où des ombres au teint pâle dans la rue principale. Avec tant de chauffé à blanc, la paresse des chats s’étalait autour du monument aux morts, et c’est par un chemin étroit, couloir dérobé entre deux murs de clôture dans l’angle de la placette, que j’ai atteint l’objectif assigné la veille par mes hôtes de Lissac : des potagers comme on n’en trouve que dans la France de la lenteur, celle des quelques terres encore sans pesticides.
Je n’ai pas de vue à vous proposer. Offrir une image reviendrait à enfermer l’endroit dans une idée fausse. C’est merveille à absorber sur place, déclenchez donc les GPS ! C’est une peinture en mouvement qui se rétrécit puis qui s’agrandit comme un soufflet d’accordéon diatonique. Le regard marche sur un sol souple à force de tant d’eau serrée dans les canaux étroits et s’immisçant dans les berges infimes. De bon matin, je l’ai trouvée pimpante, avec des teintes de dos de truite et de cheveux gris. Ça en jette un jus dans l’esprit, et, à l’évoquer, je deviens gai comme l’oxygène pur de l’alpe où je retournerai glisser en février. « Si vous voulez vivre longtemps, disait Erik Satie, vivez vieux ». Pour cela, il est indispensable de trouver un cadre. Les gens de Pégairolles penchés sur leurs salades et leurs hissées de petits pois paraissent avoir opté pour le précepte du compositeur.
Il s’agit de cela aussi : si je donne une image d’eux, je risque qu’on ne croit qu’à une fonction décorative du penché des silhouettes, des gestes placides et des regards concentrés. Une dame s’est relevée avec, dans les jambes, soixante-dix printemps plutôt que soixante-dix hivers. Elle a sauté une rigole puis une autre avec dans les bras une portée de laitues forcément craquantes. Derrière un rectangle absolument parfait de dahlias, petite forêt de lampions réjouis au-dessus des lignes vertes tracées au cordeau, un homme en bleu a soulevé une des ardoises dirigeant le destin de l’eau. La belle s’en est alors allée mouiller un carré de terre brune ratissée, et, depuis le tout petit pont de pierres enjambant le ruisseau principal, je me suis alors demandé si ce bout de terre sous l’épaule du Larzac se soumet à la juridiction d’un Tribunal des Eaux comme dans la huerta immense de Valence.
En ce moment même, un fou hurle sur la Rambla. Qu’est-ce qu’un fou ? Tout à l’heure, la voisine du dessous a tiré la sonnette comme une malade, j’ai ouvert, sa voix et ses yeux se sont étouffés à la fin d’un strident « vous inondez ma terrasse ! » Il s’est avéré que les tuyaux de mon appartement sont sages. Alors, l'emm.... est repartie libre de ne pas endosser mon mépris. Qu’est-ce que qu’un fou ? Michel Foucault en a fait des pages qu’il me faudra lire sérieusement un jour. Cette question m’éloigne formidablement des jardiniers de Pégairolles. Vous ne pouvez pas les voir sur ma carte prise à une autre saison. Ils sont dans le dos du village. J’aspire maintenant à les observer dans le soir du Massif central qui, là-bas, bascule d’un coup en dessinant des ronds dans le temps.
À bientôt.

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