Sambuco, le 2 septembre 2010.
Bonjour,
Je pourrais vous parler saveurs, de l’antipasti et donc de la cuisson « al dente », ainsi que de l’agneau grillé servis à l’Osteria della Pace à Sambuco, mais après tout, vous n’avez qu’à franchir un jour le col de Larche et descendre la Valle di Stura jusqu’au village gardé par la cathédrale de pierre du Bersaio. Vous ne le regretterez pas. Une autre adresse recommandable est située dans la même ruelle, Via Umberto I, qui se perd derrière le Municipio paré de deux drapeaux, l’un italien l’autre occitan, signalant les très officielles vallées occitanes transalpines. Ainsi, Sambuco se nomme également Sambuc dans les registres. Mais allons à l’autre adresse recommandable ! On y butine son ravitaillement. C’est l’épicerie unique pour les 82 habitants. Une dame menue et supérieurement affable propose, au milieu des balais-brosses, charcuteries, fromages, cartes de l’Occitanie et cartes postales, ce à quoi on s’attend le plus derrière le pointillé de la frontière : le « classiche spaghettini » de chez Agnesi, et la polenta Fioretto, « la buona polenta cuneese », au paquet d’un kilo et d’un jaune bouton d’or qu’enrichit, flambante, la mention « no OGM ». Le temps compté m’empêche de descendre jusqu’à Cuneo où le chef de gare était, il y a encore trois ans, Gianmaria Testa, voix internationale pour coin du feu des sentiments ; voix lente « da questa parte del mundo », le Piémont aux automnes noirs de pluie et blancs de brume, aux hivers de neiges grises quand on atteint les plaines. En été, le soleil a beau tout essayer pour gagner les recoins de la Valle di Stura, des zones lui sont refusées net, marquées par des poches de sapins sombres et par des petits ravins aux ruisselets invisibles.
Un pas hors d’auberge, je me suis assis sur un banc de bois verni accordé à une comporte ancienne employée au décor. L’émoi que venaient d’éprouver mes papilles gustatives s’est estompé sous les géraniums rouges. Le désir de sieste a fondu dans un café vrai de vrai, sans Clooney dans la tasse, et mon âme a changé complètement de sujet. Aussi éloigné de vous que je me trouve, je vous adresse la requête qui m’est alors venue. Elle est en relation étroite avec ce qui m’a fait m’arrêter de frais ce matin en changeant de versant et en provenance de Barcelonnette.
Je vous en prie, trouvez pour moi quelque figurine en plomb de coureur cycliste ! Rien que ça ? Oui, rien que ça ! Jusqu’à présent, j’ai échoué dans ma recherche. Ou bien ces figurines ont disparu des magasins de jouets comme des étals des brocantes ou bien je manque de flair pour dénicher les amusettes. Au printemps, à Paris, avançant en direction de la Bastille par l’avenue Daumesnil, j’avais poussé la porte d’une boutique proposant des soldats de plomb. À peine avais-je formulé ma demande que je retournai au trottoir, chassé par la réponse d’un homme seulement perméable à son commerce : « Monsieur, vous croyez qu’on s’amuse à faire ça ici ? » Comme si un soldat de l’Empereur ou de la 2ème Division Blindée de Leclerc valait davantage qu’un Fausto Coppi ou un Louison Bobet. Vraiment ! Dénichez pour moi un de ces santons de la Vélocipédie qu’à huit ans nous poussions dans le sable en spéculant sur le champion du Tour et sur le « campionissimo » du Giro. « Vas-y Bobet ! », « Vas-y Coppi ! ». Je lui ferai le même lit de sable sur la tablette parallèle au bureau. Car...
Nous avions donc franchi ce matin le col de Larche. Aux premières maisons, nous avions entendu des sons différents pour désigner les choses. Ainsi, le lac ouvert au sommet était devenu « il lago », l’eau « l’acqua », la terre « la terra », et le ciel « il cielo ». Les sons nouveaux s’agitaient comme les clochettes de Papageno, « les voyelles rallongées retardaient la fin des syllabes ». La diversité des langues est musiques en si rebondissant sur musiques en la, un frou-frou, une soie. J’avais atteint le comble en lisant ceci dans la descente, dans une épingle à cheveux, sur un panneau tout à la gloire de Coppi, apposé contre un mur de soutènement dressé au-dessus du bitume : « Un uomo solo al comando, la sua maglia è bianco-celeste, il suo nome è Fausto Coppi » (« Un homme seul aux commandes, son maillot est blanc et bleu, son nom est Fausto Coppi »). C’est ainsi que s’était exprimé le chroniqueur sportif Mario Ferretti pendant l’étape de légende Cuneo-Pinerolo dans le Giro de 1949, et cette phrase radiophonique est restée dans l’oreille collective des Italiens. Je l’ai lue à voix haute pour mon plaisir et pour celui des gentianes, à l’endroit même où Coppi s’était échappé un 10 juin sous de grands nuages, et remportant du même coup le Giro. La rampe du col de la Maddalena qui devient col de Larche en changeant de pays est terrible. Dans la zone où Coppi déclencha son attaque célèbre, on a une perspective quasiment verticale sur une douzaine de virages. Éperonnée par l’acuité du sentiment géographique sans lequel il n’est pas d’épopée notamment, ma mémoire a sauté immédiatement dans le train de L’Équipe et dans ces quelques phrases d’un reportage mien : « (...) Wassberg, iceberg tranchant. Dans les bouleaux d’Oslo, Tomas Wassberg est seul aux commandes, le bonnet de guingois. Il coupe les secondes dans la forêt du Temps comme un Samson arracherait des arbres. Avec un nom pareil, l’eau et la montagne en un, voilà un bûcheron ailé de longs bras fins que les trolls accompagnent vers la médaille d’or du cinquante kilomètres des championnats du monde. » Posté dans le virage anthologique, j’avais relu une dernière fois la phrase de Ferretti et je m’étais promis de revenir au très beau livre (grande prose à rendre pâle Antoine Blondin) de Dino Buzzati, l’auteur du Désert des tartares, sur le Giro de 1949, où il évoque le fait d’armes de Coppi ainsi que, je m’en souviens, « l’enchantement revêche » de son rival Bartali.
Je voulais voir et j’ai vu le lieu où. Je vais quitter bientôt Sambuco-Sambuc et saluer à nouveau le panneau. Mon petit-neveu Martí, né il y a vingt jours, doit toujours téter le sein de sa maman. Vas-y Martí ! Moi je suis en train de téter le lait des cyclistes en plomb. Vas-y Coppi !
À bientôt.
Bonjour,
Je pourrais vous parler saveurs, de l’antipasti et donc de la cuisson « al dente », ainsi que de l’agneau grillé servis à l’Osteria della Pace à Sambuco, mais après tout, vous n’avez qu’à franchir un jour le col de Larche et descendre la Valle di Stura jusqu’au village gardé par la cathédrale de pierre du Bersaio. Vous ne le regretterez pas. Une autre adresse recommandable est située dans la même ruelle, Via Umberto I, qui se perd derrière le Municipio paré de deux drapeaux, l’un italien l’autre occitan, signalant les très officielles vallées occitanes transalpines. Ainsi, Sambuco se nomme également Sambuc dans les registres. Mais allons à l’autre adresse recommandable ! On y butine son ravitaillement. C’est l’épicerie unique pour les 82 habitants. Une dame menue et supérieurement affable propose, au milieu des balais-brosses, charcuteries, fromages, cartes de l’Occitanie et cartes postales, ce à quoi on s’attend le plus derrière le pointillé de la frontière : le « classiche spaghettini » de chez Agnesi, et la polenta Fioretto, « la buona polenta cuneese », au paquet d’un kilo et d’un jaune bouton d’or qu’enrichit, flambante, la mention « no OGM ». Le temps compté m’empêche de descendre jusqu’à Cuneo où le chef de gare était, il y a encore trois ans, Gianmaria Testa, voix internationale pour coin du feu des sentiments ; voix lente « da questa parte del mundo », le Piémont aux automnes noirs de pluie et blancs de brume, aux hivers de neiges grises quand on atteint les plaines. En été, le soleil a beau tout essayer pour gagner les recoins de la Valle di Stura, des zones lui sont refusées net, marquées par des poches de sapins sombres et par des petits ravins aux ruisselets invisibles.
Un pas hors d’auberge, je me suis assis sur un banc de bois verni accordé à une comporte ancienne employée au décor. L’émoi que venaient d’éprouver mes papilles gustatives s’est estompé sous les géraniums rouges. Le désir de sieste a fondu dans un café vrai de vrai, sans Clooney dans la tasse, et mon âme a changé complètement de sujet. Aussi éloigné de vous que je me trouve, je vous adresse la requête qui m’est alors venue. Elle est en relation étroite avec ce qui m’a fait m’arrêter de frais ce matin en changeant de versant et en provenance de Barcelonnette.
Je vous en prie, trouvez pour moi quelque figurine en plomb de coureur cycliste ! Rien que ça ? Oui, rien que ça ! Jusqu’à présent, j’ai échoué dans ma recherche. Ou bien ces figurines ont disparu des magasins de jouets comme des étals des brocantes ou bien je manque de flair pour dénicher les amusettes. Au printemps, à Paris, avançant en direction de la Bastille par l’avenue Daumesnil, j’avais poussé la porte d’une boutique proposant des soldats de plomb. À peine avais-je formulé ma demande que je retournai au trottoir, chassé par la réponse d’un homme seulement perméable à son commerce : « Monsieur, vous croyez qu’on s’amuse à faire ça ici ? » Comme si un soldat de l’Empereur ou de la 2ème Division Blindée de Leclerc valait davantage qu’un Fausto Coppi ou un Louison Bobet. Vraiment ! Dénichez pour moi un de ces santons de la Vélocipédie qu’à huit ans nous poussions dans le sable en spéculant sur le champion du Tour et sur le « campionissimo » du Giro. « Vas-y Bobet ! », « Vas-y Coppi ! ». Je lui ferai le même lit de sable sur la tablette parallèle au bureau. Car...
Nous avions donc franchi ce matin le col de Larche. Aux premières maisons, nous avions entendu des sons différents pour désigner les choses. Ainsi, le lac ouvert au sommet était devenu « il lago », l’eau « l’acqua », la terre « la terra », et le ciel « il cielo ». Les sons nouveaux s’agitaient comme les clochettes de Papageno, « les voyelles rallongées retardaient la fin des syllabes ». La diversité des langues est musiques en si rebondissant sur musiques en la, un frou-frou, une soie. J’avais atteint le comble en lisant ceci dans la descente, dans une épingle à cheveux, sur un panneau tout à la gloire de Coppi, apposé contre un mur de soutènement dressé au-dessus du bitume : « Un uomo solo al comando, la sua maglia è bianco-celeste, il suo nome è Fausto Coppi » (« Un homme seul aux commandes, son maillot est blanc et bleu, son nom est Fausto Coppi »). C’est ainsi que s’était exprimé le chroniqueur sportif Mario Ferretti pendant l’étape de légende Cuneo-Pinerolo dans le Giro de 1949, et cette phrase radiophonique est restée dans l’oreille collective des Italiens. Je l’ai lue à voix haute pour mon plaisir et pour celui des gentianes, à l’endroit même où Coppi s’était échappé un 10 juin sous de grands nuages, et remportant du même coup le Giro. La rampe du col de la Maddalena qui devient col de Larche en changeant de pays est terrible. Dans la zone où Coppi déclencha son attaque célèbre, on a une perspective quasiment verticale sur une douzaine de virages. Éperonnée par l’acuité du sentiment géographique sans lequel il n’est pas d’épopée notamment, ma mémoire a sauté immédiatement dans le train de L’Équipe et dans ces quelques phrases d’un reportage mien : « (...) Wassberg, iceberg tranchant. Dans les bouleaux d’Oslo, Tomas Wassberg est seul aux commandes, le bonnet de guingois. Il coupe les secondes dans la forêt du Temps comme un Samson arracherait des arbres. Avec un nom pareil, l’eau et la montagne en un, voilà un bûcheron ailé de longs bras fins que les trolls accompagnent vers la médaille d’or du cinquante kilomètres des championnats du monde. » Posté dans le virage anthologique, j’avais relu une dernière fois la phrase de Ferretti et je m’étais promis de revenir au très beau livre (grande prose à rendre pâle Antoine Blondin) de Dino Buzzati, l’auteur du Désert des tartares, sur le Giro de 1949, où il évoque le fait d’armes de Coppi ainsi que, je m’en souviens, « l’enchantement revêche » de son rival Bartali.
Je voulais voir et j’ai vu le lieu où. Je vais quitter bientôt Sambuco-Sambuc et saluer à nouveau le panneau. Mon petit-neveu Martí, né il y a vingt jours, doit toujours téter le sein de sa maman. Vas-y Martí ! Moi je suis en train de téter le lait des cyclistes en plomb. Vas-y Coppi !
À bientôt.
tu finiras gros
RépondreSupprimeret pour me faire plaisir, arrête d'écrire en orange sur noir, ça crève les yeux!
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